Rien de particulier à dire sur cette nouvelle. Elle n'a pas été écrite dans un but particulier, si ce n'est que cette idée a traîné longtemps au fond de mon cerveau. J'avais eu l'intention de la soummettre, mais je ne voyais pas où ni pourquoi...
Je l'avais donc gardée pour moi toute seule... hehehe
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Je ne commencerai pas en vous disant quel est mon âge.
Je ne finirai pas ainsi non plus.
Pas vraiment par coquetterie, mais plutôt parce-que me souvenir de mon âge exact serait trop difficile. Évidemment, je sais en quelle année je suis né, je n'ai rien perdu des principes de mathématique, mais vient un temps dans la vie d'un homme où il faut savoir arrêter de compter. Il y a trente ans, j'étais déjà très vieux, alors aujourd'hui... mieux ne vaut pas y penser.
J'avais passé le cap des cent ans quand un médecin du Sacré-Cœur commença à s'intéresser à moi. J'avais enterré mon épouse près de quinze ans auparavant et je ne voyais pas le jour où je pourrais aller la rejoindre. J'étais donc allé poser la question au premier docteur qui voudrait bien me recevoir.
Combien de temps croyez-vous qu'il me reste à vivre? était ma question.
Le Docteur Massé, médecin qui se disait de famille, m'ausculta, m'examina et me tripota longuement avant de répondre, tout sourire, que je n'avais pas à m'inquiéter.
- Vous êtes en très bonne santé, me confirma-t-il, à mon grand désespoir.
Son sourire, que j'aurais pourtant jugé permanent, s'estompa un peu quand je lui annonçai mon âge, sans oublier de mentionner la hâte que j'avais d'en avoir terminé.
- Je ne vous aurais pas donné beaucoup plus que 80 ans, monsieur Bilodeau. Quel est votre secret?
Il semblait véritablement attendre une réponse de ma part. Que pouvais-je bien lui dire? Que j'engloutissais un steak saignant tous les soirs? Que je ne passais pas une semaine sans boire mon 40-once de gin, le dernier verre directement du goulot? Que le cigare que je fumais chaque soir avant d'aller au lit contrait mon insomnie? Je n'ai rien trouvé de mieux qu'à m'inventer un régime de vie sans faille, ponctué d'une bonne dose d'exercices quotidiens.
Ce fut de sa faute si ma vie devint un enfer. Je crois qu'il rêvait de célébrité car moins d'un mois plus tard, un dame m'appelait afin de me convaincre de participer à un talk-show populaire. Le sujet était la "vieillesse extrême" et je serais, bien entendu, payé pour ma participation.
Comme je m'ennuyais un peu, et que la perspective de faire un peu d'argent me pendait au bout du nez, je donnai mon accord. Le lendemain, on m'envoyait une voiture à l'effigie de l'émission, bagnole à la mode dont j'avais vue la publicité maintes fois à la télé. On m'emmena au studio, me maquilla et me coiffa avec soin, pour ensuite m'installer sur une chaise à moitié confortable trônant sur une estrade surchauffée.
De chaque côté de moi suaient d'autres petits vieux, plutôt décrépits, un ou deux ayant même l'air un brin séniles. L'assistance face à moi était bruyante, attendant l'arrivée de l'animateur-vedette. Un jeune clown passait son temps à raconter des blagues et courir d'une rangée à l'autre en gesticulant afin de distraire les gens. Nous, sur la scène, ressemblions de plus en plus à des gâteaux de noces dégoulinants. Par chance, une jolie petite rousse venait nous tamponner le visage régulièrement,parfois tentant de nous rafraîchir, parfois nous enduisant d'une couche supplémentaire de fond de teint.
Vint enfin le temps de jouer aux invités modèles avec l'animateur, vieil homme faussement jeune grâce à de nombreuses chirurgies plastiques. Je n'écoutais pas vraiment ce qu'il disait jusqu'à ce qu'il s'en prenne à moi. Il m'avait gardé pour la fin, j'étais le dessert, la crème pâtissière, de son émission. Vint la question fatidique...
- Et vous, monsieur Bilodeau, quel âge avez-vous?
Avec les 87, 94 et 97 ans que j'avais entendus plus tôt, je savais bien que je ferais mon petit effet en annonçant le nombre d'années qui, c'était le bon mot, m'accablaient. J'entendis, avec satisfaction, un murmure d'étonnement quand j'annonçai bien fort que j'avais 106 ans. Il y eu même des applaudissements, que je trouvai somme toute délicieux.
Vinrent ensuite les "comment faites-vous?", "comment vous sentez-vous?", mais ça ne dura pas bien longtemps. On présenta ensuite le Docteur Massé qui eu droit à presque vingt minutes afin d'élaborer sa théorie sur le vieillissement de la population. C'était terminé pour moi, j'avais eu droit à mon cinq minutes de célébrité.
Enfin, c'est ce que je croyais.
Près d'une dizaine d'années plus tard, j'étais devenu une icône. J'avais été reçu à toutes les émissions, avais été interviewé par tous les magazines importants. J'avais même servi de cobaye pour nombre d'expérimentations, dont je ne pourrais malheureusement vous dire la teneur.
Vint ensuite le jour où l'on commença à me détester. Un évangélisateur célèbre me prit même pour cible dans sa nouvelle campagne de recrutement. Il m'annonça comme étant un rejet de Dieu qui, à la lumière de ma mauvaise vie, avait décidé de ne pas me rappeler à Lui. Preacher Bob, qui s'était baptisé ainsi afin de rejoindre un plus large public, m'inventa une vie de débauche, des viols et des meurtres, expliquant ma longue et interminable vie comme un état d'expiation.
Je devins aussi le sujet principal de nombreuses lettres ouvertes. On m'avait vu au centre-ville en train de vampiriser des jeunes filles. J'étais un extra-terrestre. J'étais le nouveau Messie. On m'expédia des menaces de mort par téléphone, par courrier, par la figure. On me baisa les pieds, me demanda de bénir des nouveaux-nés, puis une secte s'appropria mon nom.
Je décidai qu'enfin, j'en avais assez!
J'étais encore assez croyant pour refuser de m'enlever la vie, alors je trouvai une autre solution. Ayant fait une somme raisonnable d'argent lors de mes premières années de célébrité, j'appelai à la rescousse ma petite-fille favorite, Michelle. Je lui demandai de m'aider à disparaître, ce qu'elle accepta avec plaisir. Je lui donnai tout l'argent que je possédais, elle n'aurait qu'à s'assurer que je ne manque de rien pour ce que j'espérais être un très petit nombre d'années.
- Deux ou trois ans, tout au plus, lui ai-je promis.
Elle haussa les épaules en affirmant que je pouvais rester en vie autant que je voulais. Qu'elle s'occuperait de moi tant qu'il le faudrait.
Depuis ce temps, j'habite un petit chalet confortable au milieu des bois. Je ne manque de rien. Michelle m'apporta de la nourriture et des magazines chaque samedi matin pendant bon nombre d'années. Aujourd'hui, c'est son fils Laurent qui s'occupe de moi, depuis qu'elle est incapable de se rappeler son propre nom.
Moi, je vis encore, je croûle sous les années sans qu'elles ne m'affectent vraiment. Je mange, bois et fume, je fais des mots-croisés et me promène la nuit, au clair de lune. Personne ne se doute plus que j'existe.
Mais même si j'ai disparu de la circulation, personne ne m'a oublié. Le Docteur Massé fit fortune en écrivant un livre sur moi. Il raconta mon histoire, qui fut lue par des millions de gens, dans une multitude de langues. Je n'y ai pas échappé, je l'ai lue aussi. C'était une très belle histoire, même si je ne me suis pas vraiment reconnu.
À Hollywood, ils en ont fait un film. Un vieil acteur qu'on avait presque oublié, Leonardo quelque-chose, a même obtenu un Oscar en me personnifiant. J'ai vu le film. J'ai pleuré. C'était un très beau film.
Je ne doute plus maintenant que le jour viendra où Laurent ne pourra plus m'aider. Quelqu'un d'autre viendra peut-être pour prendre sa place, mais j'en doute fort. Il n'a pas d'enfants et la famille s'est étiolée. J'espère profondément que ce jour-là, j'aurai le courage de m'aventurer sur la grande route, un soir sans lune, pour me précipiter sous un dix-roues. Ou peut-être pas. Qui sait si je ne serai pas enfin qu'un petit vieux anonyme d'ici une vingtaine d'années?
Je pourrai aller prendre un café au petit restaurant, sur le bord du lac.
Et si on me demande mon âge?
Je mentirai...
Thursday, August 23, 2007
Wednesday, August 22, 2007
L'INDÉCISE
Voici la seule chose qui puisse me faire croire que je ne perds peut-être pas mon temps à tenter d'écrire quelque chose. Surprise totale apprise un 1er Avril (je n'y croyais d'ailleurs pas jusqu'à parution), la nouvelle qui suit a reçu le 1er prix du Concours de Nouvelles du Journal Voir, en 2003.
Un peu de fierté, ça peut pas faire de mal... ;-)
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- Mon doux, c'est mauvais. Que c'est donc mauvais!
Un homme devant se retourne et vous regarde avec perplexité. Avez-vous dit cela tout haut? vous demandez-vous, confuse. Vous reconnaissez l'homme comme étant le père de Maryse Gignac, l'actrice principale, espérant que lui ne vous ait pas reconnue. Si Luc apprenait cela, il vous quitterait à la seconde. Luc Miron, nouvelle coqueluche du théâtre, de la télévision, de l'Union des artistes, vous laisserait tomber sans remords s'il savait que vous n'appréciez pas ce qu'il fait.
De tous les hommes que vous aviez eus dans votre vie, celui-ci était le plus imbu de lui-même, le plus pédant, le plus arrogant, mais il était aussi le plus sûr de lui, le plus fonceur, le plus cultivé. Qu'il vous ait remarquée, vous, avait fait toute la différence. À Montréal depuis pas tout à fait un an, nantie d'un seul diplôme d'études professionnelles en secrétariat, employée par chance dans l'une des plus grandes agences de casting de la Métropole, il vous avait vue et courtisée. C'en était fait de vous.
Vous avez commencé à frayer dans le milieu artistique, parmi des gens qui selon vous vous surclassent en beauté, en talent et en intelligence. Il ne se passe pas une semaine sans que vous soyez convaincue que Luc vous lâchera pour une petite comédienne ultra-talentueuse avec qui il aura plus en commun. Mais comme ce nouveau monde auquel vous avez accès vous plaît, vous faites tout pour lui plaire, pour être comme il vous veut. Vous êtes devenue sophistiquée (une fortune
en coiffeurs, maquillage, vêtements griffés), avez acquis une certaine culture (vous passez chaque moment libre à dévorer livres et journaux) et avez appris à jouer l'indépendante (pas de questions à la "Où va notre couple?" ou "Est-ce que tu m'aimes?"). Vous êtes devenue parfaite... pour lui.
Mais maintenant, vous ne savez plus quoi penser. La pièce dans laquelle il joue vous semble si mauvaise que vous vous sentez mal. Vous savez qu'il vous demandera ce que vous en avez pensé, comment vous l'avez trouvée, si vous le trouviez bon. Même si vous lui disiez qu'il était extraordinaire, que la pièce était belle et touchante, il lirait la vérité dans vos yeux. Il verrait que vous avez trouvé la pièce moche, sans intérêt, pas drôle du tout. Il discernerait aussi votre déception, que son jeu ne vous a pas touchée. Même les costumes et le décor, il saurait que vous trouvez qu'on les dirait dénichés au marché aux puces, poussiéreux et pleins de mites.
Vous versez une larme ou deux, en songeant à la fin de votre liaison toute neuve. Les quelques relations que vous avez nouées dans le milieu s'effriteront car vous aurez perdu votre ticket d'entrée. Même Gisèle, comédienne de votre âge avec qui vous avez beaucoup d'affinités, finira par ne plus vous appeler pour aller siroter un cappuccino au petit café à deux pas de chez vous. Tous ces gens que vous avez fini par apprécier s'envoleront en fumée, préférant ne pas se lier à une personne "ordinaire" qui les aura trahis dans leur art.
Un râle de désespoir venant de la scène vous tire de vos pensées. Carol Lemieux, le principal rival de Luc, vient de s'affaler sur un divan décoloré en se tenant le coeur. Il crie de douleur tandis que les autres protagonistes, amassés autour de lui, le regardent. Vous les trouvez faux, Luc autant que les autres. Son corps ne trahit rien, il reste debout à observer Carol comme s'il avait l'esprit occupé ailleurs, comme s'il était en train de se demander s'il mangera du poulet ou du poisson pour souper. Les autres aussi, en fait, ont l'air de se poser la même question.
Après avoir joué la souffrance pendant une dizaine de minutes, Carol roule en bas du canapé avec bruit. Les acteurs poussent un "Aaaaaaaaah!" qui semble vouloir dire "Quel dommage!". Un comédien que vous ne connaissez pas, habillé en concierge, entre sur scène armé d'un balai et pousse le corps "mort" vers les coulisses. En fait, Carol roule sur lui-même au rythme du balai pendant que continuent les lamentations de Luc et des autres. Encore une fois, vous vous étonnez de l'absence de qualité du spectacle. Le rideau tombe, les lumières s'allument.
Luc vous a demandé d'aller le retrouver pendant l'entracte, mais le courage vous abandonne et vous préférez sortir du théâtre pour aller fumer. Bon, vous avez arrêté, mais vous avez besoin de décompresser. Vous n'aurez qu'à prétendre avoir eu une envie pressante et, comme toujours, la file d'attente aura été interminable. Tant pis s'il arrive à discerner votre haleine de cigarette car, de toute façon, ce sera la dernière fois que vous le verrez.
À l'extérieur, des dizaines de spectateurs font comme vous et vous arrivez à obtenir une cigarette d'un jeune homme. Autour de vous, les gens parlent de la pièce. Vous êtes surprise de n'entendre que des commentaires positifs, tant sur les comédiens que sur la pièce elle-même. Vous vous approchez d'un petit groupe particulièrement enthousiaste et prêtez l'oreille. Rapidement, le souvenir d'avoir été étrangère au monde du théâtre refait surface. Le groupe ne fait que louanger l'originalité du texte, de la mise en scène et du jeu des comédiens. Luc, plus particulièrement, semble avoir la cote. Vous n'êtes pas vraiment surprise.
La plus âgée de la petite assemblée souligne avec ferveur l'indifférence des personnages face à la mort de Carol. Cette scène, selon elle, est ce qu'elle a vu de mieux en fait de froideur, de désabusement social et de snobisme depuis plusieurs années. "Ce fut effectivement bien rendu", ajoute à cela son voisin de droite. Une vague de honte vous submerge. Pouvez-vous être si étrangère à la subtilité du théâtre? En connaissez-vous si peu que vous ne pouvez reconnaître la qualité quand elle vous saute au visage? Vous vous promettez de redoubler d'efforts afin d'apprécier le spectacle, si prisé par vos congénères.
Les gens reviennent dans le théâtre et vous les suivez, armée d'une énergie nouvelle. Vous allez apprécier la pièce, il le faut. Vous devrez mettre de côté le peu que vous connaissez et vous ouvrir à cette forme d'art dont vous ignorez les ficelles. Vous oublierez les pièces vues dans votre jeunesse, au théâtre d'été, ces pièces cabotines, simples à comprendre, adorées par vos parents. Elles sont de l'ordre du divertissement. Celle-ci est d'un tout autre calibre, un registre qui ne vous est pas familier. C'est remplie d'espoir que vous prenez votre place et attendez le lever du rideau.
Les comédiens sont maintenant tous là, assis face au public sur des chaises de bois branlantes. Derrière eux, sur une plateforme censée représenter un monument funéraire, il y a Carol, couché sur le dos, les mains croisées sur la poitrine, les yeux fermés. Personne ne parle, le silence vous défonce les tympans. Tout le monde retient son souffle, tout comme vous. Maryse Gignac se lève, respire un bon coup et commence à parler. Son personnage raconte sa relation avec le "mort". À certains moments, Carol s'assied et dément les affirmations de Maryse pour le bénéfice des spectateurs. Chacun leur tour, les acteurs se lèvent, parlent, et Carol dément le tout.
Vous avez une illumination. Vous venez enfin de comprendre ce que vous voyez. Ce n'est pas une pièce avec un début, un milieu et une fin. Ce n'est pas une histoire drôle avec des blagues, des cascades et des gens qui courent partout en faisant la grimace. C'est complètement autre chose. Ce que vous aviez pris, durant le premier acte, pour un mauvais jeu était un bon jeu, un autre jeu. Ce n'est pas parce que quelqu'un meurt qu'il faut à tout prix devenir hystérique et se jeter sur le décédé, en pleurs. Parce qu'au théâtre ce n'est pas toujours ainsi, parce que dans la vie ce n'est pas toujours ainsi.
Luc est le dernier à se lever et parler. Il est froid et distant quand il dit qu'il aimait le cadavre comme un frère. À cela, le cadavre raconte comment le personnage de Luc ment, mais vous ne l'écoutez pas. Vous qui connaissez Luc, vous savez qu'il n'est pas froid, qu'il n'est pas ce morceau de glace sur deux pattes figé sur la scène. Vous réalisez enfin l'ampleur de son talent. Si votre amoureux peut vous donner froid dans le dos, s'il peut vous donner l'impression d'être l'homme le plus épouvantable de la terre et vous le faire détester, n'est-ce pas une preuve de son génie? Vous pleurez à nouveau, non plus sur la fin de votre relation, mais sur la découverte de votre nouvelle sensibilité théâtrale.
Vous savez à présent que Luc ne verra pas l'ennui dans votre regard, qu'il ne lira pas la déception que vous avait procurée la pièce au début. Il ne vous laissera pas tomber pour cause de théâtre, il ne pourra que voir le respect qu'il vous inspire.
Vous percevez devant vous des chuchotements inopportuns et ça vous dérange. Vous vous apprêtez à remettre ces impolis à leur place quand vous reconnaissez la dame et son ami qui avaient encensé l'oeuvre. Ils rient maintenant tout bas. Vous entendez les mots "prétentieux", "sur-joué", "ridicule", "mauvais comédiens". Vous êtes confuse. Ceux-là mêmes qui vous ont, sans le savoir, aidée à apprécier ce nouveau théâtre réfutent d'un coup ce que vous venez de découvrir. Le père de Maryse Gignac hoche lentement la tête, l'air découragé. Vous regardez autour de vous et les mines ennuyées vous brisent le coeur.
À nouveau, vous sombrez dans le doute. Il n'y a à vos yeux que deux solutions possibles. Ou bien vous avez apprécié quelque chose que tout connaisseur saurait juger mauvais, ou bien vous êtes la seule à avoir pu ouvrir votre esprit assez grand pour constater les qualités de la pièce. Toujours aussi sûre de vous, vous optez pour la première solution.
La pièce se termine brusquement sur le mot "Hypocrites!" poussé rageusement par Carol, qui se recouche sur son autel pendant que les autres baissent honteusement la tête. C'est fini, les gens vont se mettre à applaudir. Vous attendez, les mains prêtes pour l'action, mais rien ne vient. Puis quelques spectateurs, au fond, commencent à applaudir. D'autres suivent enfin, pour faire bonne figure. Et la salle au complet (ou presque) participe, sans grand enthousiasme. Le rideau se lève sur Luc, Carol et les autres se tenant par la main et faisant la révérence. Ils ont l'air perplexes, comme étonnés de ne pas recevoir d'ovation, ou au moins une manifestation plus chaleureuse. Le rideau retombe et les gens se dirigent rapidement vers la sortie.
Vous restez à votre place, bombardée des nombreux commentaires négatifs, quelquefois méchants, sur le spectacle. Vous ne pouvez bouger de votre siège, effrayée d'avoir à aller rejoindre votre amoureux et toute la troupe. En élaborant tous les scénarios possibles, il ne vous vient qu'une seule réponse, qu'une seule excuse. Vous devrez user de tout le charme dont vous êtes capable, vous serez taquine, enfantine. Vous lui direz, l'air piteux: "Luc chéri, tu sais bien que je n'y connais rien, moi, au théâtre..."
Un peu de fierté, ça peut pas faire de mal... ;-)
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- Mon doux, c'est mauvais. Que c'est donc mauvais!
Un homme devant se retourne et vous regarde avec perplexité. Avez-vous dit cela tout haut? vous demandez-vous, confuse. Vous reconnaissez l'homme comme étant le père de Maryse Gignac, l'actrice principale, espérant que lui ne vous ait pas reconnue. Si Luc apprenait cela, il vous quitterait à la seconde. Luc Miron, nouvelle coqueluche du théâtre, de la télévision, de l'Union des artistes, vous laisserait tomber sans remords s'il savait que vous n'appréciez pas ce qu'il fait.
De tous les hommes que vous aviez eus dans votre vie, celui-ci était le plus imbu de lui-même, le plus pédant, le plus arrogant, mais il était aussi le plus sûr de lui, le plus fonceur, le plus cultivé. Qu'il vous ait remarquée, vous, avait fait toute la différence. À Montréal depuis pas tout à fait un an, nantie d'un seul diplôme d'études professionnelles en secrétariat, employée par chance dans l'une des plus grandes agences de casting de la Métropole, il vous avait vue et courtisée. C'en était fait de vous.
Vous avez commencé à frayer dans le milieu artistique, parmi des gens qui selon vous vous surclassent en beauté, en talent et en intelligence. Il ne se passe pas une semaine sans que vous soyez convaincue que Luc vous lâchera pour une petite comédienne ultra-talentueuse avec qui il aura plus en commun. Mais comme ce nouveau monde auquel vous avez accès vous plaît, vous faites tout pour lui plaire, pour être comme il vous veut. Vous êtes devenue sophistiquée (une fortune
en coiffeurs, maquillage, vêtements griffés), avez acquis une certaine culture (vous passez chaque moment libre à dévorer livres et journaux) et avez appris à jouer l'indépendante (pas de questions à la "Où va notre couple?" ou "Est-ce que tu m'aimes?"). Vous êtes devenue parfaite... pour lui.
Mais maintenant, vous ne savez plus quoi penser. La pièce dans laquelle il joue vous semble si mauvaise que vous vous sentez mal. Vous savez qu'il vous demandera ce que vous en avez pensé, comment vous l'avez trouvée, si vous le trouviez bon. Même si vous lui disiez qu'il était extraordinaire, que la pièce était belle et touchante, il lirait la vérité dans vos yeux. Il verrait que vous avez trouvé la pièce moche, sans intérêt, pas drôle du tout. Il discernerait aussi votre déception, que son jeu ne vous a pas touchée. Même les costumes et le décor, il saurait que vous trouvez qu'on les dirait dénichés au marché aux puces, poussiéreux et pleins de mites.
Vous versez une larme ou deux, en songeant à la fin de votre liaison toute neuve. Les quelques relations que vous avez nouées dans le milieu s'effriteront car vous aurez perdu votre ticket d'entrée. Même Gisèle, comédienne de votre âge avec qui vous avez beaucoup d'affinités, finira par ne plus vous appeler pour aller siroter un cappuccino au petit café à deux pas de chez vous. Tous ces gens que vous avez fini par apprécier s'envoleront en fumée, préférant ne pas se lier à une personne "ordinaire" qui les aura trahis dans leur art.
Un râle de désespoir venant de la scène vous tire de vos pensées. Carol Lemieux, le principal rival de Luc, vient de s'affaler sur un divan décoloré en se tenant le coeur. Il crie de douleur tandis que les autres protagonistes, amassés autour de lui, le regardent. Vous les trouvez faux, Luc autant que les autres. Son corps ne trahit rien, il reste debout à observer Carol comme s'il avait l'esprit occupé ailleurs, comme s'il était en train de se demander s'il mangera du poulet ou du poisson pour souper. Les autres aussi, en fait, ont l'air de se poser la même question.
Après avoir joué la souffrance pendant une dizaine de minutes, Carol roule en bas du canapé avec bruit. Les acteurs poussent un "Aaaaaaaaah!" qui semble vouloir dire "Quel dommage!". Un comédien que vous ne connaissez pas, habillé en concierge, entre sur scène armé d'un balai et pousse le corps "mort" vers les coulisses. En fait, Carol roule sur lui-même au rythme du balai pendant que continuent les lamentations de Luc et des autres. Encore une fois, vous vous étonnez de l'absence de qualité du spectacle. Le rideau tombe, les lumières s'allument.
Luc vous a demandé d'aller le retrouver pendant l'entracte, mais le courage vous abandonne et vous préférez sortir du théâtre pour aller fumer. Bon, vous avez arrêté, mais vous avez besoin de décompresser. Vous n'aurez qu'à prétendre avoir eu une envie pressante et, comme toujours, la file d'attente aura été interminable. Tant pis s'il arrive à discerner votre haleine de cigarette car, de toute façon, ce sera la dernière fois que vous le verrez.
À l'extérieur, des dizaines de spectateurs font comme vous et vous arrivez à obtenir une cigarette d'un jeune homme. Autour de vous, les gens parlent de la pièce. Vous êtes surprise de n'entendre que des commentaires positifs, tant sur les comédiens que sur la pièce elle-même. Vous vous approchez d'un petit groupe particulièrement enthousiaste et prêtez l'oreille. Rapidement, le souvenir d'avoir été étrangère au monde du théâtre refait surface. Le groupe ne fait que louanger l'originalité du texte, de la mise en scène et du jeu des comédiens. Luc, plus particulièrement, semble avoir la cote. Vous n'êtes pas vraiment surprise.
La plus âgée de la petite assemblée souligne avec ferveur l'indifférence des personnages face à la mort de Carol. Cette scène, selon elle, est ce qu'elle a vu de mieux en fait de froideur, de désabusement social et de snobisme depuis plusieurs années. "Ce fut effectivement bien rendu", ajoute à cela son voisin de droite. Une vague de honte vous submerge. Pouvez-vous être si étrangère à la subtilité du théâtre? En connaissez-vous si peu que vous ne pouvez reconnaître la qualité quand elle vous saute au visage? Vous vous promettez de redoubler d'efforts afin d'apprécier le spectacle, si prisé par vos congénères.
Les gens reviennent dans le théâtre et vous les suivez, armée d'une énergie nouvelle. Vous allez apprécier la pièce, il le faut. Vous devrez mettre de côté le peu que vous connaissez et vous ouvrir à cette forme d'art dont vous ignorez les ficelles. Vous oublierez les pièces vues dans votre jeunesse, au théâtre d'été, ces pièces cabotines, simples à comprendre, adorées par vos parents. Elles sont de l'ordre du divertissement. Celle-ci est d'un tout autre calibre, un registre qui ne vous est pas familier. C'est remplie d'espoir que vous prenez votre place et attendez le lever du rideau.
Les comédiens sont maintenant tous là, assis face au public sur des chaises de bois branlantes. Derrière eux, sur une plateforme censée représenter un monument funéraire, il y a Carol, couché sur le dos, les mains croisées sur la poitrine, les yeux fermés. Personne ne parle, le silence vous défonce les tympans. Tout le monde retient son souffle, tout comme vous. Maryse Gignac se lève, respire un bon coup et commence à parler. Son personnage raconte sa relation avec le "mort". À certains moments, Carol s'assied et dément les affirmations de Maryse pour le bénéfice des spectateurs. Chacun leur tour, les acteurs se lèvent, parlent, et Carol dément le tout.
Vous avez une illumination. Vous venez enfin de comprendre ce que vous voyez. Ce n'est pas une pièce avec un début, un milieu et une fin. Ce n'est pas une histoire drôle avec des blagues, des cascades et des gens qui courent partout en faisant la grimace. C'est complètement autre chose. Ce que vous aviez pris, durant le premier acte, pour un mauvais jeu était un bon jeu, un autre jeu. Ce n'est pas parce que quelqu'un meurt qu'il faut à tout prix devenir hystérique et se jeter sur le décédé, en pleurs. Parce qu'au théâtre ce n'est pas toujours ainsi, parce que dans la vie ce n'est pas toujours ainsi.
Luc est le dernier à se lever et parler. Il est froid et distant quand il dit qu'il aimait le cadavre comme un frère. À cela, le cadavre raconte comment le personnage de Luc ment, mais vous ne l'écoutez pas. Vous qui connaissez Luc, vous savez qu'il n'est pas froid, qu'il n'est pas ce morceau de glace sur deux pattes figé sur la scène. Vous réalisez enfin l'ampleur de son talent. Si votre amoureux peut vous donner froid dans le dos, s'il peut vous donner l'impression d'être l'homme le plus épouvantable de la terre et vous le faire détester, n'est-ce pas une preuve de son génie? Vous pleurez à nouveau, non plus sur la fin de votre relation, mais sur la découverte de votre nouvelle sensibilité théâtrale.
Vous savez à présent que Luc ne verra pas l'ennui dans votre regard, qu'il ne lira pas la déception que vous avait procurée la pièce au début. Il ne vous laissera pas tomber pour cause de théâtre, il ne pourra que voir le respect qu'il vous inspire.
Vous percevez devant vous des chuchotements inopportuns et ça vous dérange. Vous vous apprêtez à remettre ces impolis à leur place quand vous reconnaissez la dame et son ami qui avaient encensé l'oeuvre. Ils rient maintenant tout bas. Vous entendez les mots "prétentieux", "sur-joué", "ridicule", "mauvais comédiens". Vous êtes confuse. Ceux-là mêmes qui vous ont, sans le savoir, aidée à apprécier ce nouveau théâtre réfutent d'un coup ce que vous venez de découvrir. Le père de Maryse Gignac hoche lentement la tête, l'air découragé. Vous regardez autour de vous et les mines ennuyées vous brisent le coeur.
À nouveau, vous sombrez dans le doute. Il n'y a à vos yeux que deux solutions possibles. Ou bien vous avez apprécié quelque chose que tout connaisseur saurait juger mauvais, ou bien vous êtes la seule à avoir pu ouvrir votre esprit assez grand pour constater les qualités de la pièce. Toujours aussi sûre de vous, vous optez pour la première solution.
La pièce se termine brusquement sur le mot "Hypocrites!" poussé rageusement par Carol, qui se recouche sur son autel pendant que les autres baissent honteusement la tête. C'est fini, les gens vont se mettre à applaudir. Vous attendez, les mains prêtes pour l'action, mais rien ne vient. Puis quelques spectateurs, au fond, commencent à applaudir. D'autres suivent enfin, pour faire bonne figure. Et la salle au complet (ou presque) participe, sans grand enthousiasme. Le rideau se lève sur Luc, Carol et les autres se tenant par la main et faisant la révérence. Ils ont l'air perplexes, comme étonnés de ne pas recevoir d'ovation, ou au moins une manifestation plus chaleureuse. Le rideau retombe et les gens se dirigent rapidement vers la sortie.
Vous restez à votre place, bombardée des nombreux commentaires négatifs, quelquefois méchants, sur le spectacle. Vous ne pouvez bouger de votre siège, effrayée d'avoir à aller rejoindre votre amoureux et toute la troupe. En élaborant tous les scénarios possibles, il ne vous vient qu'une seule réponse, qu'une seule excuse. Vous devrez user de tout le charme dont vous êtes capable, vous serez taquine, enfantine. Vous lui direz, l'air piteux: "Luc chéri, tu sais bien que je n'y connais rien, moi, au théâtre..."
LES ILLUSIONS NIPPONES
Comme premier texte, je me permets une nouvelle qui dort depuis un moment. Elle faisait partie d'un projet (commencé par mon moi-même) qui n'a malheureusement jamais vu le jour. Qui sait, ça aurait pû être intéressant finalement! hehehe!
Ah oui! Et vos commentaires sont les bienvenus... Merci!
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- Qu'est-ce que tu lis?
Il croit qu'elle ne l'a as entendu tant elle est longue à réagir. Finalement, toute en continuant sa lecture, elle tourne le livre juste assez pour qu'il puisse voir la couverture. Il croit deviner un visage, une femme probablement, lèvres écarlates et yeux immenses. Puis, un flou de lettres illisibles, noires. Le titre ou l'auteur, il n'en sait rien. Surtout que dans le fond, il s'en balance un peu.
- Et ça raconte quoi?
Sans répondre, encore une fois, elle tourne le livre pour qu'il puisse lire l'arrière de la jaquette. Il est évident qu'il ne pourra jamais déchiffrer ça d'où il est. Il hésite un moment, se demandant s'il ne devrait pas se lever pour mieux voir. Il décide plutôt de faire semblant de se concentrer sur la lecture, les yeux plissés comme s'il devait faire le focus et promène aveuglément ses pupilles sur les formes floues et grises.
- Ça a l'air bon...
Il ne trouve rien de mieux à dire. Évidemment que ça doit être bon, sinon pourquoi le lirait-elle ? Comme il s'ennuie un peu, il cherche quelque chose à dire, afin d'échanger avec elle. Depuis le temps qu'il la voit dans ce café, chaque dimanche matin, il llui semble presque la connaître. Parce-qu'ils n'ont jamais discuté, ayant seulement échangé quelques regards et sourires polis, il ne sait pas quoi luii raconter pour qu'elle s'intéresse à lui plutôt qu'à son livre.
Il cherche en vain une parole drôle et brillante, une ligne de départ. Lui qui, d'habitude est plutôt habile pour entâmer une conversation, le voilà bloqué après trois petites phrases plus qu'ordinaires. L'idée de lui avouer qu'en fait il n'a pas pu lire un seul mot à cause de ses yeux handicapés lui effleure l'esprit. Elle aurait peut-être la bonne idée de lui faire un résumé. Au lieu de cela, il laisse vagabonder son regard sur elle. Même s'il ne voit pas clairement, il sait ce qu'elle porte.
Le noir sur ses jambes, ce sont ses bottes, celles qu'elle porte toujours, même en cet avant-midi annonciateur d'extrême chaleur. Il voit la couleur chair, après les bottes, qui monte assez haut pour qu'il devine une jupe très courte, noire aussi. Ensuite, vient le rouge qui lui éclate aux pupilles, probablement un tee-shirt car il peut distinguer ses bras quand elle porte la main à la pâtisserie devant elle... un muffin aux bleuets, comme chaque dimanche.
Comme elle tourne son visage vers lui, il s'empare de sa tasse de café et s'y enfouffre. Surpris par une gorgée de café froid, il tousse et grimace. Elle rigole discrètement. Sentant ses joues rosir un peu, il fait pourtant minie de rien et contemple sa montre. Heureusement, il peut voir les chiffres numériques, il n'aura pas à faire semblant. Même s'il est déjà presque midi, il n'a pas enve de partir. Il se lève et se dirige vers le comptoir.
- Un double allongé s'il-vous-plaît, demande-t-il à la jeune serveuse.
Pendant qu'il attend, il se retourne subtilement vers l'inconnue. Elle est encore plus floue à cette distance et, étrangement, encore plus désirable. Elle reste là, immobile, concentrée sur une œuvre dont il ignore tout, et ça l'émeut. Pour une raison qu'il ne s'explique pas, il ressent une pointe de jalousie. à l'égard des mots qui l'absorbent. Un instant seulement, il aimerait être ce roman, être son centre d'attention.
La fille au comptoir doit lui tapoter le bras pour qu'enfin il réalise que son café est prêt et qu'il doit payer. Il lui donne son dû et retourne s'asseoir. L'envie de se plonger lui aussi dans la lecture se fait sentir, peut-être pour lui rendre la monnaie de sa pièce. Il reste plutôt là à observer les ombres qui passent devant la vitrine, jetant parfois un regard discret à la forme noire et rouge.
La voilà maintenant qui bouge, se lève. Sans qu'il s'en soit vraiment rendu compte, ses yeux s'étaient longuement attardés sur elle. Il redoute le moment à venir, quand elle arrivera près de lui et lui fera, de toute évidence, une scène. Elle pourrait aller jusqu'à le traiter de pervers et aurait probablement raison. Qu'elle prenne son sac, son café et son livre le surprend par contre un peu. Et quand elle s'assoit près de lui...
- c'est l'histoire d'une Européenne qui travaille au Japon et se fait chier... c'est sympathique.
Il lui prend un moment avant de comprendre de quoi elle parle. Évidemment, elle fait référence au livre. Trop fier, il déclare innocemment :
- Je sais, je l'ai lu sur la jaquette tout-à-l'heure.
- Tu n'as pas tes lunettes...
- Qui dit que je n'ai pas de verres de contact?
Sans répondre, elle porte la tasse à ses lèvres. Près comme il est, il la voit bien, elle n'est plu embrouillée. Son visage est joli mais ça, il le savait déjà. Ses cheveux, presque orangés, lui font comme une broussaille autour de la tête. Est-ce qu'elle a l'air de ça en se levant le matin? Il espère que oui car il la trouve adorable.
Quand elle dépose la tasse et reprend son livre, il a peur. S'il ne trouve rien à dire, elle se replongera dans les mots et sa chance sera passée. Et pourtant, elle reste assise près de lui, comme s'ils étaient de vieux copains. Ou comme s'ils venaient de passer la nuit ensemble. C'est si agréable, confortable. De nouveau, son regard se perd sur elle pendant un moment. Il tente de trouver des choses à dire, mais son esprit est vide.
- Tu es déjà allé au Japon? dit-elle soudainement, toujours penchée sur son livre.
- Non.
- J'ai du mal à croire que ça se passe vraiment comme ça.
- Ça se passe mal?
- Pas mal. Différemment. Quel pays fascinant!
Et elle continue de lire. Comme si rien n'avait été dit. Ça le rend fou. Il pense à Louise, se souvient qu'elle l'attend à l'appartement, qu'ils doivent partir tôt pour la maison des beaux-parents. Mais il n'a pas envie de quitter...
Il se rend soudainement compte qu'il ne connaît même pas son nom.
- Je n'ai aucune classe. Je m'appelle Simon, et toi?
Elle sourit et lève enfin les yeux.
- Zoé. Je me demandais bien quand tu allais te décider.
Il ne trouver rien de mieux à faire que de rire bêtement. Elle avait tout sauf tort. Malgré tout, il se retrouve encore une fois sans mots à la bouche. Son âge, il s'en fout, son métier, ses hobbys, ce n'est pas ce qui l'intéresse. Enfin, pas encore. Pour l'instant, il veut qu'elle ne lui parle de rien en particulier, il veut seulement être avec elle. Il est encore trop tôt pour entrer dans les détails.
Sans vraiment se l'avouer, il sait de quoi il a envie. Il ne veut pas lui parler, il veut la goûter, la dévorer. Qu'elle parle ou non ne lui dérange pas. En fait, il veut des mots cochons, des soupirs et tout ce qu'elle pourrait avoir envie de lui dire pendant qu'il est en elle. Il fantasme en solo, les yeux sur le bout de tissu noir qu'il entrevoit sous la table.
Quand elle se penche vers lui, son odeur l'étourdit, un mélange de pommes et de cannelle, de fleurs et d'épices, d'amour et de danger. Il reconnaît en elle l'odeur de LA femme, celle qu'il cherche depuis toujours, c'est qui n'est pas Louise. Même de penser à elle en ce moment crucial ne le fait pas reculer. Il attend patiemment qu'elle arriver vers lui. Il est prêt, humecte ses lèvres, s'inquiète furtivement de son haleine. Il aura un goût de café mais tant pis, elle aussi. Avec une touche de bleuets sucrés probablement. Les papilles en éveil, il attend.
Le baiser ne vient jamais, elle dirige plutôt sa bouche vers son oreille pour doucement lui annoncer qu'une belle blonde les observe. Ses ardeurs se calment rapidement et il se tourne vers la femme en question. Même dans le brouillard de ses yeux, il reconnaît Louise, celle qui l'attend depuis certainement une heure. Il est clair qu'elle est fâchée, et il ne pourrait pas l'en blâmer. Même s'il est déçu, il s'efforce de sourire et l'appelle.
- Chérie, j'allais te rejoindre bientôt. Viens, j'ai presque fini mon café.
En copine exemplaire, elle fait bonne figure et s'assoit près de lui, sans quitter l'autre femme des yeux. Il sait qu,elle a tout vu, qu'elle a tout senti. Soutenant le regard de Louise, Zoé sourit et tend la main.
- Salut, je m'appelle Zoé. Et toi c'est... désolée, Simon me l'a dit mais j'ai oublié. Je suis une vraie visuelle, j'ai besoin d'un visage pour me rappeler d'un nom.
Il embrasserait Zoé, là, devant Louise. Pour la remercier d'être si rapide, si brillante. Elle feint l'innocence afin de l'innocenter, lui. À son grand bonheur, Louise semble n'y voir que du feu et sourit enfin, visiblement soulagée.
- Louise.
- Oui, voilà... Louise! J'allais partir justement, on se disait au revoir. Contente de t'avoir rencontrée Louise.
Simon la regarde avec regret remettre le livre dans son sac et se lever. Il aimerait tant la suivre, laissant tout derrière lui; Louise, le café, la ville, la planète même. Il ne peut que penser à l'emmener loin e tout, à se sauver avec elle vers un pays lointain. Il imagine le Japon... serait-ce assez loin?
- Tu aurais envie d'aller en voyage ? demande-t-il à Louise.
- Un voyage? Et quoi encore! C'est bien trop cher!
La colère monte en lui, il se dit que Louise en est la cause. N'est-ce pas de sa faute à elle s'il n'a pas ce qu'il désire? Si Zoé est partie? Et ça ne peut être que de sa faute s'il se meurt d'aller rejoindre Zoé et s'envoler au loin avec elle. Louise, celle qui lui colle au derrière depuis trois ans, celle qui lui a fait promettre de l'aimer toujours, même si, il en est maintenant certain, c'est impossible.
Elle l'a fait troquer son abordable trois et demi pour un cinq et demi hors de prix. Elle l'a forcé à vivre dans un décor qui n'est pas le sien. Elle s'embête à lui faire rencontrer des gens qui ne l'intéressent pas. Elle a fait miroiter son sexe comme un joyau rare et précieux, comme le dernier qu'il aurait jamais. Pire que tout, elle l'avait transformé en homme responsable, et il en a maintenant assez.
En une minute, tout bascule. Le fait qu'ils soient dans un endroit public ne le dérange pas du tout, même que grande partie de son courage doit justement venir de ce fait. Il frappe à coup de mots, de repoches, de justifications puis, finalement, d'excuses. Il porte enfin le coup fatal, celui qui dit tout sans ne rien dire...
- Ce n'est pas toi... c'est moi.
Louise, estomaquée, reste assise près de lui, sans parler. Il imagine qu'elle cherches les paroles qui pourront tout réparer, sinon le blesser autant qu'il vient de le faire. Elle avance la main vers sa cuisse mais s'arrête avant même de le toucher. Elle abandonne la partie, il le sait. Enfin, les mots portent et elle comprend.
Il ne prend même pas la peine d'arrêter la main qui s'élance vers son visage. Ça n'a pas d'importance, rien vraiment n'en a plus. Même en cet instant où il devrait ressentir quelque chose, ne serait-ce que de la culpabilité, il ne fait que penser à celle qui est partie. Il fait taire la petite voix qui lui somme de s'excuser, de tout tenter pour retrouver le confort d'une relation stable. Mais il sait bien que Louise ne lui pardonnera jamais vraiment et il le comprend bien.
Ainsi soit-il.
Quand, le dimanche suivant, Simon se retrouve au même café, il est déçu de ne pas apercevoir l'objet de son obsession. Après trois longues heures d'attente, il se décide enfin à partir. Quel événement peut bien l'empêcher d'honorer leur rendez-vous qui, au fond, n'en est pas un ? Il se sent mal, même bien rasé, peigné et habillé comme un prince ? Se pourrait-il que la femme de ses rêves n'existe finalement pas ?
Il est debout quand, soulagé, il la voit entrer. Elle se dirige vers le comptoir sans même le regarder. Il l'entend demander un latte caramel et un muffin aux bleuets, comme d'habitude. Son cœur est si gros dans sa poitrine qu'il a du mal à respirer. Il se décide enfin à aller se placer derrière elle pour la saluer et lui-même faire le plein de caféine. Quand il souffle un bonjour à son oreille, elle sursaute et se retourne.
- Bonjour... Stéphane, c'est ça?
Elle ne connaît pas son nom. Elle ne se souvient pas de lui. Viseulle qu'elle disait, menteuse ! Son courage s'effrite, la peur l'envahit. Le moment intense vécu la semaine précédente en pouvait pas qu'être important pour lui, elle auraît dû ressentir quelque chose aussi. Une seule réponse, un seul mot, lui vient à la bouche.
- Simon...
- Désolée... Simon! Je n'étais plus certaine. Bon, et bien, bonne journée!
Et elle part, emportant avec elle ses illusions et même son cœur. L'espace d'un instant, il a envie de courir vers elle, se rappeler à elle, lui faire se souvenir du dimanche passé.
De nouveau, sa vie bascule quand Zoé en embrasse un autre, dehors, sous un soleil trop brillant.
Seul, véritablement, encore plus qu'il l'a jamais été, il prend sa tasse brûlante et retourne s'asseoir, l'essence fruitée de Zoé encore présente à ses narines, la douleur du baiser d'un autre gravée dans son cœur. Il reste assis longtemps, à penser à elle, à ce qu'ils auraient pu partager aujourd'hui. Surtout, il pense à l'endroit où ils auraient pû être en ce moment, c'est-à-dire ailleurs, en partance pour une autre vie... ensemble. Même s'il ne connaît rien d'elle, il était certain qu'elle l'aurait suivi n'importe où. Surtout là où il voulait l'emmener.
Il sort une enveloppe de sa poche arrière. Il avait tout planifié, leurs retrouvailles, leur première nuit ensemble, la préparation de ses bagages entre deux baises, la recherche frénétique du passeport au dernier moment. Puis l'attente à l'aéroport, soudés l'un à l'autre sur les bancs de plastique, les baisers qui n'en finissent plus. Et, surtout, sa reconnaissance, leur amour tout neuf, un avenir qui ne regarde plus qu'eux.
Il sirote son café, longtemps, même lorsqu'il est devenu froid. Il n'ose pas partir au cas où elle reviendrait. D'où qu'elle soit, elle sent peut-être qu'il est toujours ici, qu'il l'attend, la tête remplie d'espoirs. Sur la table tachée de café, dans l'enveloppe pliée, deux billets...
American Airlines...
Montréal, New York, Tokyo...
Ah oui! Et vos commentaires sont les bienvenus... Merci!
*************************************************************************************
- Qu'est-ce que tu lis?
Il croit qu'elle ne l'a as entendu tant elle est longue à réagir. Finalement, toute en continuant sa lecture, elle tourne le livre juste assez pour qu'il puisse voir la couverture. Il croit deviner un visage, une femme probablement, lèvres écarlates et yeux immenses. Puis, un flou de lettres illisibles, noires. Le titre ou l'auteur, il n'en sait rien. Surtout que dans le fond, il s'en balance un peu.
- Et ça raconte quoi?
Sans répondre, encore une fois, elle tourne le livre pour qu'il puisse lire l'arrière de la jaquette. Il est évident qu'il ne pourra jamais déchiffrer ça d'où il est. Il hésite un moment, se demandant s'il ne devrait pas se lever pour mieux voir. Il décide plutôt de faire semblant de se concentrer sur la lecture, les yeux plissés comme s'il devait faire le focus et promène aveuglément ses pupilles sur les formes floues et grises.
- Ça a l'air bon...
Il ne trouve rien de mieux à dire. Évidemment que ça doit être bon, sinon pourquoi le lirait-elle ? Comme il s'ennuie un peu, il cherche quelque chose à dire, afin d'échanger avec elle. Depuis le temps qu'il la voit dans ce café, chaque dimanche matin, il llui semble presque la connaître. Parce-qu'ils n'ont jamais discuté, ayant seulement échangé quelques regards et sourires polis, il ne sait pas quoi luii raconter pour qu'elle s'intéresse à lui plutôt qu'à son livre.
Il cherche en vain une parole drôle et brillante, une ligne de départ. Lui qui, d'habitude est plutôt habile pour entâmer une conversation, le voilà bloqué après trois petites phrases plus qu'ordinaires. L'idée de lui avouer qu'en fait il n'a pas pu lire un seul mot à cause de ses yeux handicapés lui effleure l'esprit. Elle aurait peut-être la bonne idée de lui faire un résumé. Au lieu de cela, il laisse vagabonder son regard sur elle. Même s'il ne voit pas clairement, il sait ce qu'elle porte.
Le noir sur ses jambes, ce sont ses bottes, celles qu'elle porte toujours, même en cet avant-midi annonciateur d'extrême chaleur. Il voit la couleur chair, après les bottes, qui monte assez haut pour qu'il devine une jupe très courte, noire aussi. Ensuite, vient le rouge qui lui éclate aux pupilles, probablement un tee-shirt car il peut distinguer ses bras quand elle porte la main à la pâtisserie devant elle... un muffin aux bleuets, comme chaque dimanche.
Comme elle tourne son visage vers lui, il s'empare de sa tasse de café et s'y enfouffre. Surpris par une gorgée de café froid, il tousse et grimace. Elle rigole discrètement. Sentant ses joues rosir un peu, il fait pourtant minie de rien et contemple sa montre. Heureusement, il peut voir les chiffres numériques, il n'aura pas à faire semblant. Même s'il est déjà presque midi, il n'a pas enve de partir. Il se lève et se dirige vers le comptoir.
- Un double allongé s'il-vous-plaît, demande-t-il à la jeune serveuse.
Pendant qu'il attend, il se retourne subtilement vers l'inconnue. Elle est encore plus floue à cette distance et, étrangement, encore plus désirable. Elle reste là, immobile, concentrée sur une œuvre dont il ignore tout, et ça l'émeut. Pour une raison qu'il ne s'explique pas, il ressent une pointe de jalousie. à l'égard des mots qui l'absorbent. Un instant seulement, il aimerait être ce roman, être son centre d'attention.
La fille au comptoir doit lui tapoter le bras pour qu'enfin il réalise que son café est prêt et qu'il doit payer. Il lui donne son dû et retourne s'asseoir. L'envie de se plonger lui aussi dans la lecture se fait sentir, peut-être pour lui rendre la monnaie de sa pièce. Il reste plutôt là à observer les ombres qui passent devant la vitrine, jetant parfois un regard discret à la forme noire et rouge.
La voilà maintenant qui bouge, se lève. Sans qu'il s'en soit vraiment rendu compte, ses yeux s'étaient longuement attardés sur elle. Il redoute le moment à venir, quand elle arrivera près de lui et lui fera, de toute évidence, une scène. Elle pourrait aller jusqu'à le traiter de pervers et aurait probablement raison. Qu'elle prenne son sac, son café et son livre le surprend par contre un peu. Et quand elle s'assoit près de lui...
- c'est l'histoire d'une Européenne qui travaille au Japon et se fait chier... c'est sympathique.
Il lui prend un moment avant de comprendre de quoi elle parle. Évidemment, elle fait référence au livre. Trop fier, il déclare innocemment :
- Je sais, je l'ai lu sur la jaquette tout-à-l'heure.
- Tu n'as pas tes lunettes...
- Qui dit que je n'ai pas de verres de contact?
Sans répondre, elle porte la tasse à ses lèvres. Près comme il est, il la voit bien, elle n'est plu embrouillée. Son visage est joli mais ça, il le savait déjà. Ses cheveux, presque orangés, lui font comme une broussaille autour de la tête. Est-ce qu'elle a l'air de ça en se levant le matin? Il espère que oui car il la trouve adorable.
Quand elle dépose la tasse et reprend son livre, il a peur. S'il ne trouve rien à dire, elle se replongera dans les mots et sa chance sera passée. Et pourtant, elle reste assise près de lui, comme s'ils étaient de vieux copains. Ou comme s'ils venaient de passer la nuit ensemble. C'est si agréable, confortable. De nouveau, son regard se perd sur elle pendant un moment. Il tente de trouver des choses à dire, mais son esprit est vide.
- Tu es déjà allé au Japon? dit-elle soudainement, toujours penchée sur son livre.
- Non.
- J'ai du mal à croire que ça se passe vraiment comme ça.
- Ça se passe mal?
- Pas mal. Différemment. Quel pays fascinant!
Et elle continue de lire. Comme si rien n'avait été dit. Ça le rend fou. Il pense à Louise, se souvient qu'elle l'attend à l'appartement, qu'ils doivent partir tôt pour la maison des beaux-parents. Mais il n'a pas envie de quitter...
Il se rend soudainement compte qu'il ne connaît même pas son nom.
- Je n'ai aucune classe. Je m'appelle Simon, et toi?
Elle sourit et lève enfin les yeux.
- Zoé. Je me demandais bien quand tu allais te décider.
Il ne trouver rien de mieux à faire que de rire bêtement. Elle avait tout sauf tort. Malgré tout, il se retrouve encore une fois sans mots à la bouche. Son âge, il s'en fout, son métier, ses hobbys, ce n'est pas ce qui l'intéresse. Enfin, pas encore. Pour l'instant, il veut qu'elle ne lui parle de rien en particulier, il veut seulement être avec elle. Il est encore trop tôt pour entrer dans les détails.
Sans vraiment se l'avouer, il sait de quoi il a envie. Il ne veut pas lui parler, il veut la goûter, la dévorer. Qu'elle parle ou non ne lui dérange pas. En fait, il veut des mots cochons, des soupirs et tout ce qu'elle pourrait avoir envie de lui dire pendant qu'il est en elle. Il fantasme en solo, les yeux sur le bout de tissu noir qu'il entrevoit sous la table.
Quand elle se penche vers lui, son odeur l'étourdit, un mélange de pommes et de cannelle, de fleurs et d'épices, d'amour et de danger. Il reconnaît en elle l'odeur de LA femme, celle qu'il cherche depuis toujours, c'est qui n'est pas Louise. Même de penser à elle en ce moment crucial ne le fait pas reculer. Il attend patiemment qu'elle arriver vers lui. Il est prêt, humecte ses lèvres, s'inquiète furtivement de son haleine. Il aura un goût de café mais tant pis, elle aussi. Avec une touche de bleuets sucrés probablement. Les papilles en éveil, il attend.
Le baiser ne vient jamais, elle dirige plutôt sa bouche vers son oreille pour doucement lui annoncer qu'une belle blonde les observe. Ses ardeurs se calment rapidement et il se tourne vers la femme en question. Même dans le brouillard de ses yeux, il reconnaît Louise, celle qui l'attend depuis certainement une heure. Il est clair qu'elle est fâchée, et il ne pourrait pas l'en blâmer. Même s'il est déçu, il s'efforce de sourire et l'appelle.
- Chérie, j'allais te rejoindre bientôt. Viens, j'ai presque fini mon café.
En copine exemplaire, elle fait bonne figure et s'assoit près de lui, sans quitter l'autre femme des yeux. Il sait qu,elle a tout vu, qu'elle a tout senti. Soutenant le regard de Louise, Zoé sourit et tend la main.
- Salut, je m'appelle Zoé. Et toi c'est... désolée, Simon me l'a dit mais j'ai oublié. Je suis une vraie visuelle, j'ai besoin d'un visage pour me rappeler d'un nom.
Il embrasserait Zoé, là, devant Louise. Pour la remercier d'être si rapide, si brillante. Elle feint l'innocence afin de l'innocenter, lui. À son grand bonheur, Louise semble n'y voir que du feu et sourit enfin, visiblement soulagée.
- Louise.
- Oui, voilà... Louise! J'allais partir justement, on se disait au revoir. Contente de t'avoir rencontrée Louise.
Simon la regarde avec regret remettre le livre dans son sac et se lever. Il aimerait tant la suivre, laissant tout derrière lui; Louise, le café, la ville, la planète même. Il ne peut que penser à l'emmener loin e tout, à se sauver avec elle vers un pays lointain. Il imagine le Japon... serait-ce assez loin?
- Tu aurais envie d'aller en voyage ? demande-t-il à Louise.
- Un voyage? Et quoi encore! C'est bien trop cher!
La colère monte en lui, il se dit que Louise en est la cause. N'est-ce pas de sa faute à elle s'il n'a pas ce qu'il désire? Si Zoé est partie? Et ça ne peut être que de sa faute s'il se meurt d'aller rejoindre Zoé et s'envoler au loin avec elle. Louise, celle qui lui colle au derrière depuis trois ans, celle qui lui a fait promettre de l'aimer toujours, même si, il en est maintenant certain, c'est impossible.
Elle l'a fait troquer son abordable trois et demi pour un cinq et demi hors de prix. Elle l'a forcé à vivre dans un décor qui n'est pas le sien. Elle s'embête à lui faire rencontrer des gens qui ne l'intéressent pas. Elle a fait miroiter son sexe comme un joyau rare et précieux, comme le dernier qu'il aurait jamais. Pire que tout, elle l'avait transformé en homme responsable, et il en a maintenant assez.
En une minute, tout bascule. Le fait qu'ils soient dans un endroit public ne le dérange pas du tout, même que grande partie de son courage doit justement venir de ce fait. Il frappe à coup de mots, de repoches, de justifications puis, finalement, d'excuses. Il porte enfin le coup fatal, celui qui dit tout sans ne rien dire...
- Ce n'est pas toi... c'est moi.
Louise, estomaquée, reste assise près de lui, sans parler. Il imagine qu'elle cherches les paroles qui pourront tout réparer, sinon le blesser autant qu'il vient de le faire. Elle avance la main vers sa cuisse mais s'arrête avant même de le toucher. Elle abandonne la partie, il le sait. Enfin, les mots portent et elle comprend.
Il ne prend même pas la peine d'arrêter la main qui s'élance vers son visage. Ça n'a pas d'importance, rien vraiment n'en a plus. Même en cet instant où il devrait ressentir quelque chose, ne serait-ce que de la culpabilité, il ne fait que penser à celle qui est partie. Il fait taire la petite voix qui lui somme de s'excuser, de tout tenter pour retrouver le confort d'une relation stable. Mais il sait bien que Louise ne lui pardonnera jamais vraiment et il le comprend bien.
Ainsi soit-il.
Quand, le dimanche suivant, Simon se retrouve au même café, il est déçu de ne pas apercevoir l'objet de son obsession. Après trois longues heures d'attente, il se décide enfin à partir. Quel événement peut bien l'empêcher d'honorer leur rendez-vous qui, au fond, n'en est pas un ? Il se sent mal, même bien rasé, peigné et habillé comme un prince ? Se pourrait-il que la femme de ses rêves n'existe finalement pas ?
Il est debout quand, soulagé, il la voit entrer. Elle se dirige vers le comptoir sans même le regarder. Il l'entend demander un latte caramel et un muffin aux bleuets, comme d'habitude. Son cœur est si gros dans sa poitrine qu'il a du mal à respirer. Il se décide enfin à aller se placer derrière elle pour la saluer et lui-même faire le plein de caféine. Quand il souffle un bonjour à son oreille, elle sursaute et se retourne.
- Bonjour... Stéphane, c'est ça?
Elle ne connaît pas son nom. Elle ne se souvient pas de lui. Viseulle qu'elle disait, menteuse ! Son courage s'effrite, la peur l'envahit. Le moment intense vécu la semaine précédente en pouvait pas qu'être important pour lui, elle auraît dû ressentir quelque chose aussi. Une seule réponse, un seul mot, lui vient à la bouche.
- Simon...
- Désolée... Simon! Je n'étais plus certaine. Bon, et bien, bonne journée!
Et elle part, emportant avec elle ses illusions et même son cœur. L'espace d'un instant, il a envie de courir vers elle, se rappeler à elle, lui faire se souvenir du dimanche passé.
De nouveau, sa vie bascule quand Zoé en embrasse un autre, dehors, sous un soleil trop brillant.
Seul, véritablement, encore plus qu'il l'a jamais été, il prend sa tasse brûlante et retourne s'asseoir, l'essence fruitée de Zoé encore présente à ses narines, la douleur du baiser d'un autre gravée dans son cœur. Il reste assis longtemps, à penser à elle, à ce qu'ils auraient pu partager aujourd'hui. Surtout, il pense à l'endroit où ils auraient pû être en ce moment, c'est-à-dire ailleurs, en partance pour une autre vie... ensemble. Même s'il ne connaît rien d'elle, il était certain qu'elle l'aurait suivi n'importe où. Surtout là où il voulait l'emmener.
Il sort une enveloppe de sa poche arrière. Il avait tout planifié, leurs retrouvailles, leur première nuit ensemble, la préparation de ses bagages entre deux baises, la recherche frénétique du passeport au dernier moment. Puis l'attente à l'aéroport, soudés l'un à l'autre sur les bancs de plastique, les baisers qui n'en finissent plus. Et, surtout, sa reconnaissance, leur amour tout neuf, un avenir qui ne regarde plus qu'eux.
Il sirote son café, longtemps, même lorsqu'il est devenu froid. Il n'ose pas partir au cas où elle reviendrait. D'où qu'elle soit, elle sent peut-être qu'il est toujours ici, qu'il l'attend, la tête remplie d'espoirs. Sur la table tachée de café, dans l'enveloppe pliée, deux billets...
American Airlines...
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