Wednesday, August 22, 2007

LES ILLUSIONS NIPPONES

Comme premier texte, je me permets une nouvelle qui dort depuis un moment. Elle faisait partie d'un projet (commencé par mon moi-même) qui n'a malheureusement jamais vu le jour. Qui sait, ça aurait pû être intéressant finalement! hehehe!

Ah oui! Et vos commentaires sont les bienvenus... Merci!


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- Qu'est-ce que tu lis?

Il croit qu'elle ne l'a as entendu tant elle est longue à réagir. Finalement, toute en continuant sa lecture, elle tourne le livre juste assez pour qu'il puisse voir la couverture. Il croit deviner un visage, une femme probablement, lèvres écarlates et yeux immenses. Puis, un flou de lettres illisibles, noires. Le titre ou l'auteur, il n'en sait rien. Surtout que dans le fond, il s'en balance un peu.

- Et ça raconte quoi?

Sans répondre, encore une fois, elle tourne le livre pour qu'il puisse lire l'arrière de la jaquette. Il est évident qu'il ne pourra jamais déchiffrer ça d'où il est. Il hésite un moment, se demandant s'il ne devrait pas se lever pour mieux voir. Il décide plutôt de faire semblant de se concentrer sur la lecture, les yeux plissés comme s'il devait faire le focus et promène aveuglément ses pupilles sur les formes floues et grises.

- Ça a l'air bon...

Il ne trouve rien de mieux à dire. Évidemment que ça doit être bon, sinon pourquoi le lirait-elle ? Comme il s'ennuie un peu, il cherche quelque chose à dire, afin d'échanger avec elle. Depuis le temps qu'il la voit dans ce café, chaque dimanche matin, il llui semble presque la connaître. Parce-qu'ils n'ont jamais discuté, ayant seulement échangé quelques regards et sourires polis, il ne sait pas quoi luii raconter pour qu'elle s'intéresse à lui plutôt qu'à son livre.

Il cherche en vain une parole drôle et brillante, une ligne de départ. Lui qui, d'habitude est plutôt habile pour entâmer une conversation, le voilà bloqué après trois petites phrases plus qu'ordinaires. L'idée de lui avouer qu'en fait il n'a pas pu lire un seul mot à cause de ses yeux handicapés lui effleure l'esprit. Elle aurait peut-être la bonne idée de lui faire un résumé. Au lieu de cela, il laisse vagabonder son regard sur elle. Même s'il ne voit pas clairement, il sait ce qu'elle porte.

Le noir sur ses jambes, ce sont ses bottes, celles qu'elle porte toujours, même en cet avant-midi annonciateur d'extrême chaleur. Il voit la couleur chair, après les bottes, qui monte assez haut pour qu'il devine une jupe très courte, noire aussi. Ensuite, vient le rouge qui lui éclate aux pupilles, probablement un tee-shirt car il peut distinguer ses bras quand elle porte la main à la pâtisserie devant elle... un muffin aux bleuets, comme chaque dimanche.

Comme elle tourne son visage vers lui, il s'empare de sa tasse de café et s'y enfouffre. Surpris par une gorgée de café froid, il tousse et grimace. Elle rigole discrètement. Sentant ses joues rosir un peu, il fait pourtant minie de rien et contemple sa montre. Heureusement, il peut voir les chiffres numériques, il n'aura pas à faire semblant. Même s'il est déjà presque midi, il n'a pas enve de partir. Il se lève et se dirige vers le comptoir.

- Un double allongé s'il-vous-plaît, demande-t-il à la jeune serveuse.

Pendant qu'il attend, il se retourne subtilement vers l'inconnue. Elle est encore plus floue à cette distance et, étrangement, encore plus désirable. Elle reste là, immobile, concentrée sur une œuvre dont il ignore tout, et ça l'émeut. Pour une raison qu'il ne s'explique pas, il ressent une pointe de jalousie. à l'égard des mots qui l'absorbent. Un instant seulement, il aimerait être ce roman, être son centre d'attention.

La fille au comptoir doit lui tapoter le bras pour qu'enfin il réalise que son café est prêt et qu'il doit payer. Il lui donne son dû et retourne s'asseoir. L'envie de se plonger lui aussi dans la lecture se fait sentir, peut-être pour lui rendre la monnaie de sa pièce. Il reste plutôt là à observer les ombres qui passent devant la vitrine, jetant parfois un regard discret à la forme noire et rouge.

La voilà maintenant qui bouge, se lève. Sans qu'il s'en soit vraiment rendu compte, ses yeux s'étaient longuement attardés sur elle. Il redoute le moment à venir, quand elle arrivera près de lui et lui fera, de toute évidence, une scène. Elle pourrait aller jusqu'à le traiter de pervers et aurait probablement raison. Qu'elle prenne son sac, son café et son livre le surprend par contre un peu. Et quand elle s'assoit près de lui...

- c'est l'histoire d'une Européenne qui travaille au Japon et se fait chier... c'est sympathique.

Il lui prend un moment avant de comprendre de quoi elle parle. Évidemment, elle fait référence au livre. Trop fier, il déclare innocemment :

- Je sais, je l'ai lu sur la jaquette tout-à-l'heure.

- Tu n'as pas tes lunettes...

- Qui dit que je n'ai pas de verres de contact?

Sans répondre, elle porte la tasse à ses lèvres. Près comme il est, il la voit bien, elle n'est plu embrouillée. Son visage est joli mais ça, il le savait déjà. Ses cheveux, presque orangés, lui font comme une broussaille autour de la tête. Est-ce qu'elle a l'air de ça en se levant le matin? Il espère que oui car il la trouve adorable.

Quand elle dépose la tasse et reprend son livre, il a peur. S'il ne trouve rien à dire, elle se replongera dans les mots et sa chance sera passée. Et pourtant, elle reste assise près de lui, comme s'ils étaient de vieux copains. Ou comme s'ils venaient de passer la nuit ensemble. C'est si agréable, confortable. De nouveau, son regard se perd sur elle pendant un moment. Il tente de trouver des choses à dire, mais son esprit est vide.

- Tu es déjà allé au Japon? dit-elle soudainement, toujours penchée sur son livre.

- Non.

- J'ai du mal à croire que ça se passe vraiment comme ça.

- Ça se passe mal?

- Pas mal. Différemment. Quel pays fascinant!

Et elle continue de lire. Comme si rien n'avait été dit. Ça le rend fou. Il pense à Louise, se souvient qu'elle l'attend à l'appartement, qu'ils doivent partir tôt pour la maison des beaux-parents. Mais il n'a pas envie de quitter...

Il se rend soudainement compte qu'il ne connaît même pas son nom.

- Je n'ai aucune classe. Je m'appelle Simon, et toi?

Elle sourit et lève enfin les yeux.

- Zoé. Je me demandais bien quand tu allais te décider.

Il ne trouver rien de mieux à faire que de rire bêtement. Elle avait tout sauf tort. Malgré tout, il se retrouve encore une fois sans mots à la bouche. Son âge, il s'en fout, son métier, ses hobbys, ce n'est pas ce qui l'intéresse. Enfin, pas encore. Pour l'instant, il veut qu'elle ne lui parle de rien en particulier, il veut seulement être avec elle. Il est encore trop tôt pour entrer dans les détails.

Sans vraiment se l'avouer, il sait de quoi il a envie. Il ne veut pas lui parler, il veut la goûter, la dévorer. Qu'elle parle ou non ne lui dérange pas. En fait, il veut des mots cochons, des soupirs et tout ce qu'elle pourrait avoir envie de lui dire pendant qu'il est en elle. Il fantasme en solo, les yeux sur le bout de tissu noir qu'il entrevoit sous la table.

Quand elle se penche vers lui, son odeur l'étourdit, un mélange de pommes et de cannelle, de fleurs et d'épices, d'amour et de danger. Il reconnaît en elle l'odeur de LA femme, celle qu'il cherche depuis toujours, c'est qui n'est pas Louise. Même de penser à elle en ce moment crucial ne le fait pas reculer. Il attend patiemment qu'elle arriver vers lui. Il est prêt, humecte ses lèvres, s'inquiète furtivement de son haleine. Il aura un goût de café mais tant pis, elle aussi. Avec une touche de bleuets sucrés probablement. Les papilles en éveil, il attend.

Le baiser ne vient jamais, elle dirige plutôt sa bouche vers son oreille pour doucement lui annoncer qu'une belle blonde les observe. Ses ardeurs se calment rapidement et il se tourne vers la femme en question. Même dans le brouillard de ses yeux, il reconnaît Louise, celle qui l'attend depuis certainement une heure. Il est clair qu'elle est fâchée, et il ne pourrait pas l'en blâmer. Même s'il est déçu, il s'efforce de sourire et l'appelle.

- Chérie, j'allais te rejoindre bientôt. Viens, j'ai presque fini mon café.

En copine exemplaire, elle fait bonne figure et s'assoit près de lui, sans quitter l'autre femme des yeux. Il sait qu,elle a tout vu, qu'elle a tout senti. Soutenant le regard de Louise, Zoé sourit et tend la main.

- Salut, je m'appelle Zoé. Et toi c'est... désolée, Simon me l'a dit mais j'ai oublié. Je suis une vraie visuelle, j'ai besoin d'un visage pour me rappeler d'un nom.

Il embrasserait Zoé, là, devant Louise. Pour la remercier d'être si rapide, si brillante. Elle feint l'innocence afin de l'innocenter, lui. À son grand bonheur, Louise semble n'y voir que du feu et sourit enfin, visiblement soulagée.

- Louise.

- Oui, voilà... Louise! J'allais partir justement, on se disait au revoir. Contente de t'avoir rencontrée Louise.

Simon la regarde avec regret remettre le livre dans son sac et se lever. Il aimerait tant la suivre, laissant tout derrière lui; Louise, le café, la ville, la planète même. Il ne peut que penser à l'emmener loin e tout, à se sauver avec elle vers un pays lointain. Il imagine le Japon... serait-ce assez loin?

- Tu aurais envie d'aller en voyage ? demande-t-il à Louise.

- Un voyage? Et quoi encore! C'est bien trop cher!

La colère monte en lui, il se dit que Louise en est la cause. N'est-ce pas de sa faute à elle s'il n'a pas ce qu'il désire? Si Zoé est partie? Et ça ne peut être que de sa faute s'il se meurt d'aller rejoindre Zoé et s'envoler au loin avec elle. Louise, celle qui lui colle au derrière depuis trois ans, celle qui lui a fait promettre de l'aimer toujours, même si, il en est maintenant certain, c'est impossible.

Elle l'a fait troquer son abordable trois et demi pour un cinq et demi hors de prix. Elle l'a forcé à vivre dans un décor qui n'est pas le sien. Elle s'embête à lui faire rencontrer des gens qui ne l'intéressent pas. Elle a fait miroiter son sexe comme un joyau rare et précieux, comme le dernier qu'il aurait jamais. Pire que tout, elle l'avait transformé en homme responsable, et il en a maintenant assez.

En une minute, tout bascule. Le fait qu'ils soient dans un endroit public ne le dérange pas du tout, même que grande partie de son courage doit justement venir de ce fait. Il frappe à coup de mots, de repoches, de justifications puis, finalement, d'excuses. Il porte enfin le coup fatal, celui qui dit tout sans ne rien dire...

- Ce n'est pas toi... c'est moi.

Louise, estomaquée, reste assise près de lui, sans parler. Il imagine qu'elle cherches les paroles qui pourront tout réparer, sinon le blesser autant qu'il vient de le faire. Elle avance la main vers sa cuisse mais s'arrête avant même de le toucher. Elle abandonne la partie, il le sait. Enfin, les mots portent et elle comprend.

Il ne prend même pas la peine d'arrêter la main qui s'élance vers son visage. Ça n'a pas d'importance, rien vraiment n'en a plus. Même en cet instant où il devrait ressentir quelque chose, ne serait-ce que de la culpabilité, il ne fait que penser à celle qui est partie. Il fait taire la petite voix qui lui somme de s'excuser, de tout tenter pour retrouver le confort d'une relation stable. Mais il sait bien que Louise ne lui pardonnera jamais vraiment et il le comprend bien.

Ainsi soit-il.

Quand, le dimanche suivant, Simon se retrouve au même café, il est déçu de ne pas apercevoir l'objet de son obsession. Après trois longues heures d'attente, il se décide enfin à partir. Quel événement peut bien l'empêcher d'honorer leur rendez-vous qui, au fond, n'en est pas un ? Il se sent mal, même bien rasé, peigné et habillé comme un prince ? Se pourrait-il que la femme de ses rêves n'existe finalement pas ?

Il est debout quand, soulagé, il la voit entrer. Elle se dirige vers le comptoir sans même le regarder. Il l'entend demander un latte caramel et un muffin aux bleuets, comme d'habitude. Son cœur est si gros dans sa poitrine qu'il a du mal à respirer. Il se décide enfin à aller se placer derrière elle pour la saluer et lui-même faire le plein de caféine. Quand il souffle un bonjour à son oreille, elle sursaute et se retourne.

- Bonjour... Stéphane, c'est ça?

Elle ne connaît pas son nom. Elle ne se souvient pas de lui. Viseulle qu'elle disait, menteuse ! Son courage s'effrite, la peur l'envahit. Le moment intense vécu la semaine précédente en pouvait pas qu'être important pour lui, elle auraît dû ressentir quelque chose aussi. Une seule réponse, un seul mot, lui vient à la bouche.

- Simon...

- Désolée... Simon! Je n'étais plus certaine. Bon, et bien, bonne journée!

Et elle part, emportant avec elle ses illusions et même son cœur. L'espace d'un instant, il a envie de courir vers elle, se rappeler à elle, lui faire se souvenir du dimanche passé.

De nouveau, sa vie bascule quand Zoé en embrasse un autre, dehors, sous un soleil trop brillant.

Seul, véritablement, encore plus qu'il l'a jamais été, il prend sa tasse brûlante et retourne s'asseoir, l'essence fruitée de Zoé encore présente à ses narines, la douleur du baiser d'un autre gravée dans son cœur. Il reste assis longtemps, à penser à elle, à ce qu'ils auraient pu partager aujourd'hui. Surtout, il pense à l'endroit où ils auraient pû être en ce moment, c'est-à-dire ailleurs, en partance pour une autre vie... ensemble. Même s'il ne connaît rien d'elle, il était certain qu'elle l'aurait suivi n'importe où. Surtout là où il voulait l'emmener.

Il sort une enveloppe de sa poche arrière. Il avait tout planifié, leurs retrouvailles, leur première nuit ensemble, la préparation de ses bagages entre deux baises, la recherche frénétique du passeport au dernier moment. Puis l'attente à l'aéroport, soudés l'un à l'autre sur les bancs de plastique, les baisers qui n'en finissent plus. Et, surtout, sa reconnaissance, leur amour tout neuf, un avenir qui ne regarde plus qu'eux.

Il sirote son café, longtemps, même lorsqu'il est devenu froid. Il n'ose pas partir au cas où elle reviendrait. D'où qu'elle soit, elle sent peut-être qu'il est toujours ici, qu'il l'attend, la tête remplie d'espoirs. Sur la table tachée de café, dans l'enveloppe pliée, deux billets...

American Airlines...

Montréal, New York, Tokyo...

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